André PRODHOMME

André PRODHOMME



André Prodhomme (né en 1949) a été éducateur spécialisé. Il a dirigé un foyer de vie pour adultes autistes dans les Yvelines. Dans sa vie comme dans ses poèmes, l’humain prédomine. Son œuvre poétique, d’Au soleil d’or (1983) à Il me reste la rivière (2009) - en passant par Poèmes ferroviaires (1986), Surtout quand je n’ai pas soif (1989), L’innocence avec rage (1996), Poèmes fatigués (2000) ou Dans la couleur des merles, poèmes à deux voix, avec J.-C. Tardif, (2003) -, possède une solide charpente, que soutiennent des valeurs immuables telles que la fraternité, l’amour et la nature. C’est sans doute pour cela, qu’outre l’amitié de Prodhomme avec le poète de Chair et Soleil (1960) et avec son fils Alain Breton, cette poésie - qui ne scrute jamais son nombril, mais demeure ouverture vers l’autre, comme vers l’ailleurs -, est souvent rapprochée de la « Poésie pour vivre », à la fois courant et  manifeste majeurs (Jean Breton et Serge Brindeau, Poésie pour vivre, le Manifeste de l’homme ordinaire, 1964 et 1982) de la poésie contemporaine.

Poèmes accordés d’André Prodhomme, parait quasiment cinquante ans après le Manifeste de Breton et Brindeau. Je ne peux y voir qu’une manifestation évidente du hasard objectif, mais aussi de l’actualité de la « Poésie pour vivre », dont l’enseignement primordial repose surtout, peut-être, sur le fait qu’il ne faut jamais se retrancher derrière la littérature pour faire exulter son imaginaire. Car, écrire, et Prodhomme le démontre, c’est vouloir se fouiller, plaider pour soi-même, rencontrer autrui au plus profond, donc communiquer, dénoncer aussi les aliénations, laver le vocabulaire, promouvoir en rêve des gestes qui deviendront un jour des actes. Pour Jean Breton comme pour André Prodhomme, la poésie serait une bien médiocre chose si elle n’entraînait pas dans son sillage la vie entière. Car, là où toutes les dimensions humaines ne sont pas brassées par elle, alors, la poésie ne signifie rien, et il est absurde de lui accorder la moindre importance, dès lors que l’émotion ne constitue pas son vade-mecum, son passeport pour l’absolu. En cela, André Prodhomme est bien un poète émotiviste, un Homme sans Epaules, plongeant en lui-même comme dans la foule, dans ce bouillon d’émotions – Où les sueurs du monde se contredisent.

Pour Prodhomme, c’est dans la rue, que le morceau se grave définitivement, et non dans un laboratoire ou dans une tour d’ivoire. Poèmes accordés succède à Il me reste la rivière et à L’Émeute, qui ont marqué une charnière dans l’œuvre du poète. La première partie, composée de longs poèmes, fluides comme une rivière (la Bièvre, dans les Yvelines, en l’occurrence), évoquent les amis, les disparus, un quotidien ébloui « aussi beau que le monde à l’heure où j’écris », la révolte et le oui à la vie en poésie et dans l’amour, « photographié par un poète aux crayons de feu ». La deuxième partie, L’Émeute, est un poème de vingt quatre pages ; une œuvre maîtresse de Prodhomme; un texte à dire, par lequel l’auteur allie son amour des mots à celui des notes, de la poésie vécue. Son poème-jazz a été enregistré et gravé (texte dit par Philippe Valmont, accompagné au piano par Laurent Epstein) sur CD (coproduit par la Librairie-Galerie Racine et les éditions du Vertige de Sébastien Colmagro, vendu avec le recueil ou à part) : Poème est camionneur – Il va d’un endroit à l’autre – Il roule sans précaution – Aucune – Avec ses airs de grande maison close – Ouverte aux vents et à leurs instruments – Il tangue il swingue il est un monde d’où naissent des mondes – Il grogne de misère humaine mais il chante avec Armstrong – ou quelqu’un d’autre dans le moteur. Ce poème-jazz sur disque, a obtenu, à juste titre, en juin 2010, le Prix Coup de Cœur de l'Académie Charles Cros, dans la catégorie « Parole enregistrée ».

C’est dans le prolongement de ces deux œuvres, que s’inscrit Poèmes accordés, sous-titré « Lettre à Laurent », lequel n’est autre que Laurent Epstein, pianiste qui accompagne, en musique et en amitié, André Prodhomme ; car le jazz (l’écho d’une tempête intérieure) innerve et alimente la vie et la création du poète : Tout à l’heure j’écrirai – Avec les doigts de sang du pianiste – Que la vie est une extase. Jazzmen, musiciens, compositeurs et poètes, sont frères : L’évidence de vivre – C’est s’engager avec les mains sur le clavier – Que dis-je – Avec le corps tout entier. La création de Prodhomme, ce sont des notes-mots, des sons-syllabes, des rythmes, des révoltes, de la sève, du sang, des nuits blanches, des rasades d’alcools forts aussi et des rencontres, toujours des rencontres, pour honorer et célébrer les folles choses de la vie et tordre les barreaux ; tous les barreaux, pour travailler à main nue, comme Thélonius Monk, l’équilibre dissonant du monde. 

Davantage qu'un Art poétique, André Prodhomme propose un Art de vivre en poésie, car, avant d’être couché sur le papier, le mot de ne doit pas sortir d’une éprouvette, mais de la vie. Il doit avoir vécu et incarner ce vécu, sans gratuité aucune : Je vous donne liberté les mots - Allez- y courez - Dans les campagnes dans les chemins du Coglais - Allez crinière au vent sur les chevaux de passage… Dans les rues des villes - Faites la culbute sur les comptoirs - Parfumez-vous au vieil Armagnac - Et même le soir tard à la Bénédictine et ses effluves bizarres - Si vous n’aimez pas la tisane - Je ne vous en voudrai pas - Soyez plus forts que moi les mots… Franchissez les frontières les mots - Les déserts brûlants les mers calmes ou en furie - Les montagnes infranchissables c’est votre boulot - Glissez-vous dans les conversations obscènes - N’évitez pas les mille façons de conforter la haine - Montrez vos muscles faites vos exercices…  

 

A lire : Au soleil d’or (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1983), Poèmes ferroviaires (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1986), Surtout quand je n'ai pas soif, suivi de Poèmes naturels (éd. Autre Rives, 1989, L’innocence avec rage (Les Hommes sans Epaules, 1996), Poèmes fatigués (La Bartavelle, 2000), Dans la couleur des merles, en collaboration avec J.-C. Tardif, (éd. Librairie-Galerie Racine, 2003), La Pampa de l'absolu, anthologie des poètes de l'Arche 23, (éd. Librairie-Galerie Racine, 2008), Il me reste la rivière (éd. Librairie-Galerie Racine, 2009), L'émeute (éd. Librairie-Galerie Racine, 2009), poème-jazz sur disque, qui a obtenu en juin 2010 le Prix Coup de Cœur de l'Académie Charles Cros dans la catégorie Parole enregistrée. Poèmes accordés suivi de L'Innocence avec rage, préface de Christophe Dauphin (Les Hommes sans Epaules/LGR, 2013), Impasse des absolus (Les Hommes sans Epaules/LGR, 2016), Montsouris en Coglès (A L'Index, 2018), Entre métier et fonction, le poète cet irréductibale, essai (L'Harmattan, 2018), La chair des mots, essai, avec Matthias Vincenot (Hermann, 2019), Je suis le temps qui grince, suivi de Sous les arbres calmes (éditions unicité, 2023).

 

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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Publié(e) dans le catalogue des Hommes sans épaules




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